domingo, 6 de novembro de 2016

Lettre du Marquis de Sade à madame de Sade


Le Marquis de Sade, de son vrai nom Donatien Alphonse François de Sade, est un auteur particulièrement célèbre par la dualité entre érotisme et cruauté qui réside dans son œuvre. Libertin assumé, cette lettre nous prouve que le Marquis aimait tout particulièrement son épouse, malgré ses mœurs légères.

Oh ! ma chère amie, quand mon horrible situation cessera-t-elle ? Quand me sortira-t-on, grand dieu ! du tombeau où l’on m’a englouti tout vivant ? Il n’est rien d’égal à l’horreur de mon sort ! rien qui puisse peindre tout ce que je souffre, qui puisse rendre l’inquiétude qui me tourmente et les chagrins qui me dévorent ! Je n’ai ici pour moi que mes larmes et mes cris ; mais qui que ce soit ne les entend… Où est le temps où ma chère amie les partageait ? Aujourd’hui je n’ai plus personne ; il semble que toute la nature soit morte pour moi ! Qui sait si tu reçois seulement mes lettres ? Aucune réponse à la dernière que je t’ai écrit[e] me prouve bien qu’on ne te les donne pas et que c’est pour amuser mon chagrin ou voir ce que je pense qu’on me permet de t’en écrire. Nouveau raffinement inventé sans doute par la rage de celle qui me poursuit ! Qu’augurer de tant de cruauté ? Juge un peu dans quel état ma pauvre tête doit être. Un faible espoir m’a soutenu jusqu’ici, a calmé les premiers moments de mon terrible chagrin : mais tout sert à le détruire et je vois bien, au silence où l’on me laisse et à l’état dans lequel je suis, qu’on ne veut que ma perte. Si c’était pour mon bien, s’y prendrait-on ainsi ? On doit bien sentir que la sévérité que l’on emploie avec moi ne peut que me tourner l’esprit et qu’il n’en peut, par conséquent (à supposer qu’on voulût me conserver), résulter qu’un grand mal. Car je suis bien sûr de ne pas tenir un mois ici sans devenir fou : c’est ce que l’on veut, sans doute, et cela s’accorde à merveille avec les moyens qu’on proposait cet hiver. Ah ! ma chère amie, je ne vois que trop bien mon sort ! Souviens-toi de ce que je t’ai dit quelquefois, que l’on voulait me laisser finir en paix mes cinq ans, et puis… Voilà l’idée qui me tourmente et qui me fait mourir. S’il est en ton pouvoir de me calmer sur cela, fais-le donc, je t’en conjure, car mon état est des plus affreux, et tu en aurais pitié, j’en suis sûr, si tu pouvais le bien comprendre tel qu’il est. Je ne doute pas non plus qu’on ne travaille à vouloir nous séparer ; ce serait là le dernier coup qu’on pourrait me porter, et je n’y survivrais pas, sois-en sûre. Je te conjure de t’y opposer de toutes tes forces et de te bien convaincre que nos enfants en deviendraient les premières victimes ; il n’y a pas d’exemple d’enfants heureux de la mésintelligence de leurs père et mère. Ma chère amie, tu es tout ce qui me reste sur la terre : père, mère, sœur, épouse, amie, tu me tiens lieu de tout, je n’ai que toi ; ne m’abandonne pas, je t’en supplie, que ce ne soit pas de toi que je reçoive le dernier coup de l’infortune.

Est-il possible, si l’on a quelque bon dessein, que l’on ne sente pas qu’on gâte tout par cette punition. Imagine-t-on que le public ira approfondir ? Il dira seulement : Il fallait bien qu’il fût coupable, puisqu’il a été puni. Quand il y a un délit prouvé, on se sert de ces moyens-là, ou pour calmer un parlement, ou pour l’empêcher de prononcer ; mais lorsqu’il est certain qu’il n’y a pas de délit et que le prononcé a été le comble du délire et de la méchanceté, on ne doit pas punir, parce qu’alors on gâte tout le bien qu’on pourrait faire en anéantissant l’arrêt, et l’on prouve clairement que la faveur seule a agi, que le délit a existé, et qu’on a prié le roi de le punir pour éviter que le parlement ne le fît. Or je défie qu’il y ait rien de pis à faire contre moi que cela, c’est me perdre pour toute ma vie ; et ta mère en a eu il y a quelques années un bon exemple, que le militaire et le public ne prenai[en]t jamais le change sur cela et qu’il[s] voyai[en]t toujours du mauvais œil celui qui s’était mis dans le cas de la punition, soit du roi, soit du parlement. Mais voilà comme elle est : lorsqu’il est question d’agir, elle se livre, on la trompe, et on finit par me faire beaucoup plus de mal qu’elle n’avait souvent voulu. C’est l’histoire du Saint-Vincent, dis-lui que je la prie de s’en souvenir ; il y en a quelqu’autre qui joue ici le même rôle et qui n’est même pas difficile à deviner.

Enfin, ma chère amie, tout ce que je te demande en grâce, c’est de m’arracher d’ici le plus tôt possible, à quelques prix que ce soit, car je sens qu’il ne m’est plus possible d’y résister. On te dit que je suis très bien ; ça te calme, à la bonne heure, j’en suis fort aise. Je ne te détromperai pas, parce que ça m’est défendu : voilà tout ce que je te puis dire. Souviens-toi seulement que je n’ai jamais enduré une situation pareille à celle que j’éprouve aujourd’hui et que, dans les circonstances où j’étais, il est infâme à ta mère de m’y avoir fait mettre. Le pauvre avocat qui disait qu’il n’était pas dans la nature d’ajouter chagrin sur chagrin connaissait bien peu ta mère en disant cela. Je t’en supplie, en attendant le jour heureux qui m’affranchira des tourments horribles où je suis plongé, d’obtenir de me venir voir, de m’écrire plus souvent que tu ne fais, de m’obtenir la permission de faire un peu d’exercice après mes repas, chose que tu sais m’être plus nécessaire que la vie même, et de m’envoyer tout de suite ma seconde paire de draps. Voilà sept nuits que je ne ferme pas l’œil et que je vomis pendant la nuit tout ce que j’ai mangé le jour. Tire-moi d’ici, ma bonne amie, tire-m’en, je t’en conjure, car je sens que je meurs à petit feu. Je ne sais pas pourquoi l’on a eu la barbarie de me refuser mon lit de camp ; c’était une faveur bien légère et qui m’aurait au moins procuré la satisfaction d’oublier mes malheurs quelques heures de la nuit. Au moins, envoie-moi mes draps tout de suite, je t’en supplie.

Adieu, ma chère amie, aime-moi autant que je souffre, c’est tout ce que je te demande, et crois que mon désespoir est au comble.

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