Lettre de René Magritte à André Bosmans
Cher ami,
Voici quelques notes qui pourront peut-être vous être utiles, comme point de départ à vos réflexions ? Je suis heureux de savoir que cela vous tente d’écrire cette monographie. Si j’ai de nouvelles notes, je vous les enverrai.
Bien affectueusement à vous,
RM
Dans l’image d’un personnage debout avec l’inscription : Personnage assis, le mot assis veut dire : posé sur un siège, c’est-à-dire au sens propre et non dans le sens humoristique (« au figuré ») qui signifierait « confortablement établi, prospère, etc… Le sens propre étant le seul à prendre en considération, il exclut l’allégorie (le sens figuré).
Le sens propre appartient au langage personnel, non soumis au dictionnaire. Il requiert la présence d’esprit qui distingue le langage vulgaire et le langage secret de l’authenticité.
Le langage vulgaire est la langue morte qui prive de vie les mots.
Le langage de l’authenticité « donne la parole » aux mots en leur faisant dire ce qu’ils n’ont jamais dit.
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Les images peintes sont l’égal de la parole, sans se confondre avec elle. Ce que l’image peut montrer, la parole ne peut le dire, ce que dit le langage, l’image ne peut le montrer. Ce que les images peintes « montrent » et ce que la parole « dit » sont cependant (peuvent être cependant) une même chose. Mais transposer en dire ce qui est montré(ou transposer en montré ce qui est dit) ne consiste pas en une « traduction » dont on aurait les termes équivalents, une sorte de dictionnaire images-paroles, paroles-images. La « transposition » est une rencontre qui ne résulte que d’une création égale à celle de la chose à transposer.
Devant ces images qui montrent tout ce qu’elles sont, où rien n’est caché, la pensée est responsable de ce qu’elle pense si elle ne se dérobe en ayant recours à une « interprétation allégorique », c’est-à-dire à l’habitude de ne rien voir au sens propre. Une telle habitude de tout interpréter au « sens figuré » n’engage la pensée à aucune responsabilité essentielle.
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Les images peintes sont invisibles, ne sont pas connaissables si l’on regarde les produits colorants, avec lesquels elles ont été peintes. Ces produits, « la matière », n’acquièrent aucune nouvelle caractéristique matérielle lorsqu’elle a été manipulée par un peintre, sauf de perdre tout intérêt et de perdre son apparence effective pour ne laisser apparaître que l’image de la pensée.
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