quinta-feira, 23 de fevereiro de 2017

Lettre de Paul Valéry à Jean Voilier


Jean Voilier (1903-1996), éditrice et romancière française, de son vrai nom Jeanne Loviton, a été l’amante d’hommes illustres ; parmi eux, Jean Giraudoux, Saint-John Perse, Curzio Malaparte, Émile Henriot, ou encore Robert Denoël… Mais c’est Paul Valéry, de 32 ans son aîné et follement épris d’elle, qui lui a écrit les plus belles lettres d’amour.

CE SOIR, où es-tu ?

CE SOIR, je suis mort de fatigue… Une semaine terrible ; un aujourd’hui écrasant. Une sorte d’apothéose l’achève. Mais conférence jamais plus nerveusement crainte… Je n’avais rien à dire. Et le corps en état brisé. Le voyage à Colmar, éreintant ; le retour en wagon surchauffé pendant sept heures ; après le froid là-bas, qui était sévère. Et le cours et la conférence embusqués dans l’après-demain qui était aujourd’hui… Et puis les nouvelles. Chaque jour son coup de pied au cul pour la nation. Cette sacrée nation, la plus bête au monde, qui avait tout et n’a su que tout perdre. J’enrage depuis cinquante ans après tout.

Maintenant c’est le bouquet… dont nous partageons les fleurs avec ces cons d’Anglais.

Pardon… Je suis hors de moi, fatigue extrême, fureur et, en somme, honte.

OUI, ce soir, ma chérie, j’ai besoin de toi à un point vraiment aigu. Besoin. C’est bien pire que désir. C’est tout autre chose. C’est sentir même comme une peine immense seulement de penser à toi. Vouloir oublier que tu es, que tu fus, et ce que tu fus. Je ne peux pas supporter cela, ton absence-présence.

Je ne sais même pas où adresser ceci, combien de temps mettra ceci pour te parvenir.

Appelle cela « amour » si tu veux. Il faudrait un autre mot.

Cependant tu suis imperturbablement ton itinéraire. Hitler ni Bibi ne peuvent rien contre Taroudant. C’est magnifique. Du moins j’espère que tu te remplis les chers yeux de puissantes choses. Ne te ruine pas, surtout, la santé. L’eau me fait peur. Il faut la faire bouillir et se méfier des minérales dans les hôtels.

Bonsoir… Qui sait où tu couches, cette nuit, où repose cette tête, où s’allongent mes grandes jambes, dont le gouverneur désœuvré rêve…

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