C’est dans un salon parisien que Reynaldo Hahn fait la connaissance de Marcel Proust, alors qu’il chante ses mélodies en s’accompagnant au piano. Ils deviennent alors amants jusqu’en 1896 puis maintiennent leur amitié jusqu’à la mort de l’écrivain. Emmanuel Berl écrit : « Reynaldo Hahn a été sans doute un des êtres que Proust a le plus aimés. Quiconque a pu approcher un tant soit peu Reynaldo Hahn le comprend sans peine. Sa conversation avait un grand charme qui ne tenait pas seulement à son talent de musicien et de chanteur, mais à l’étendue de sa culture, à son usage du monde, à un enthousiasme généreux et narquois, dont on subissait aussitôt la contagion, à une disponibilité qui est à la fois un attribut de l’intelligence et une forme de la bonté ». Retour épistolaire sur une relation tendre et tourmentée, à l’occasion de la commémoration de la mort de l’écrivain (18 novembre 1922), avec une lettre datant de l’année de leur séparation.
Notre amitié n’a plus le droit de rien dire ici, elle n’est pas assez forte pour cela maintenant. Mais son passé me crée le devoir de ne pas commettre des actes aussi stupides aussi méchants et aussi lâches sans tâcher de réveiller votre conscience et de vous le faire sinon avouer — puisque votre orgueil vous le défend — au moins sentir, ce qui pour votre bien est l’utile. Quand vous m’avez dit que vous restiez à souper ce n’est pas la première preuve d’indifférence que vous me donniez. Mais quand deux heures après, après nous être parlé gentiment, après toute la diversion de vos plaisirs musicaux, sans colère, froidement, vous m’avez dit que vous ne reviendriez pas avec moi, c’est la première preuve de méchanceté que vous m’ayez donné [sic]. Vous aviez facilement sacrifié, comme bien d’autres fois, le désir de me faire plaisir, à votre plaisir qui était de rester à souper. Mais vous l’avez sacrifié à votre orgueil qui était de ne pas paraître désirer rester à souper.
Et comme c’était un dur sacrifice, et que j’en étais la cause, vous avez voulu me le faire chèrement payer. Je dois dire que vous avez pleinement réussi. Mais vous agissez en tout cela comme un insensé. Vous me disiez ce soir que je me repentirais un jour de ce que je vous avais demandé. Je suis loin de vous dire la même chose. Je ne souhaite pas que vous vous repentiez de rien, parce que je ne souhaite pas que vous ayez de la peine, par moi surtout. Mais si je ne le souhaite pas, j’en suis presque sûr.
Malheureux, vous ne comprenez donc pas ces luttes de tous les jours et de tous les soirs où la seule crainte de vous faire de la peine m’arrête. Et vous ne comprenez pas que, malgré moi, quand ce sera l’image d’un Reynaldo qui depuis q.q. temps ne craint plus jamais de me faire de la peine, même le soir, en nous quittant, quand ce sera cette image qui reviendra, je n’aurai plus d’obstacle à opposer à mes désirs et que rien ne pourra plus m’arrêter. Vous ne sentez pas le chemin effrayant que tout cela a fait depuis q.q. temps que je sens combien je suis devenu peu pour vous, non par vengeance, ou rancune, vous pensez que non, n’est-ce pas, et je n’ai pas besoin de vous le dire, mais inconsciemment, parce que ma grande raison d’agit disparaît peu à peu.
Tout aux remords de tant de mauvaises pensées, de tant de aurais et bien lâches projets je serai bien loin de dire que je vaux mieux que vous. Mais au moins au moment même, quand je n’étais pas loin de vous et sous l’empire d’une suggestion quelconque je n’ai jamais hésité entre ce qui pouvait vous faire de la peine et le contraire. Et si q.q. chose m’en faisait et était pour vous un plaisir sérieux comme Reviers, je n’ai jamais hésité.
Pour le reste je ne regrette rien de ce que j’ai fait. J’en arrive à souhaiter que le désir de me faire plaisir ne fut pour rien, fut nul en vous. Sans cela pour que de pareilles misères auxquelles vous êtes plus attaché que vous ne croyez aient pu si souvent l’emporter il faudrait qu’elles aient sur vous un empire que je ne crois pas. Tout cela ne serait que faiblesse, orgueil et pose pour la force. Aussi je ne crois pas tout cela, je crois seulement que de même façon que je vous aime beaucoup moins, vous ne m’aimez plus du tout, et [de ] cela mon cher petit Reynaldo je ne peux pas vous en vouloir.
Et cela ne change rien pour le moment et ne m’empêche pas de vous dire que je vous aime bien tout de même.
Votre petit Marcel étonné malgré tout de voir à ce point —
Que peu de temps suffit à changer toutes choses
et que cela ira de plus en plus vite. Réfléchissez sur tout cela mon petit Blaise et si cela nourrit votre pensée de poète et votre génie de musicien, j’aurai du moins la douceur de penser que je ne vous ai pas [été] inutile […]
Marcel
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