Mon cher ami,
Ah certes, le tour est beau, et vous paraissait sans doute bien combiné. Vous me délivrez, un jour, de façon anodine et peut-être même furtive, d’un exécrable et rebutant objet pendu au mur à seule fin de décoration (?) ; puis je respire, mon thorax velu s’épanche enfin en des épanouissements avides ; je regarde mes doigts de gauche et je vois les trace infâmes de cordes-scies céder à une nouvelle et lisse et jeune pesa striée de remplacement marquée à mes empreintes personnelles. Vous m’écrivez, sans m’en parler. L’idylle continue, en somme. […]
Je reçois ces lettres, je les lis avec intérêt, j’y réponds d’un coeur sincère et brusquement, comme une bombe, voici que vous venez me faire chier (et en écriture pseudo-phonétique encore) avec une guitare que je vous aurais remise à des fins de vente ; mais je vous vois venir, mon petit, je vous vois venir. D’abord, vous me dîtes que c’est pour un copain — je me frotte les paumes tel Ponce Pilate aux croisades et je pense : jamais je ne le connaîtrai. Voici maintenant, ignoble renégat, que vous lui fourgâtes la vôtre ? Bon. Donc la mienne est chez vous, ça va, je comprends. Parfait. Mais au moment où je tâche à me rassurer un peu, c’est maintenant un tissu de lamentations séniles (conçues à seule fin d’emmêler ma comprenette déjà pas trop fameuse en ce moment) d’où je crois pouvoir déduire d’une part que vous voulez me la payer, d’autre part que vous ne pouvez pas me la payer immédiatement ? Alors, vous croyez que je suis trop idiot pour comprendre la résultante ? Que vous allez me rapporter cette ordure ?
Linard, je vous le dis tout net, j’ai tenté avec vous la franchise, la tendresse, les bons sentiments ; mais rien ne s’accroche à votre coeur glissant comme un savon caduc mouillé de sperme. Linard, je serais ferme : à la première tentative que vous ferez de me rapporter cette guitare, je vous sonne. Et à coups de pompes dans les molaires, procédé que je répugne d’ordinaire à employer sinon avec les chevaux. Mais auriez-vous juré de me rendre fou ? Et ne me bassinez pas avec votre argent, vous me parlez tellement d’argent que vous finirez par me faire croire que moi, j’en ai. Mon pauvre ami, si j’en avais, j’aurais de puis longtemps une bonne guitare, comprenez-vous ; mais une bonne guitare, ça vaut vingt-cinq billets, et quoi que vous puissiez insinuer, je ne suis plus, depuis longtemps, de ces gens qui ont vingt-cinq billets.
Non, décidément, Linard, vous êtes un assez sale type. Vous me parlez de repas ? Ne pouvez-vous en parler avant et venir en prendre un ici ? C’est, je le regrette, la seule chose que je puisse vous offrir ! Mais naturellement vous aurez à coeur de m’en demander d’autres, de me demander par exemple, les qualités que vous opposez à mes défauts imaginés — ce qui est d’un humour facile, mais assez bas, tout au septième que vous habitez. — D’ailleurs cette flèche de Parthe elle-même ne me touche guère : moi je vais avoir une chambre au huitième. Ah !
Résumé :
1° Gardez cette ordure.
2° Ne me faîtes pas chier avec ces histoires de pognon et gardez ledit pognon pour bouffer.
3° Je vous tiens malgré tout pour un brave homme.
Boris Vian
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