terça-feira, 9 de agosto de 2016

Lettre de Camille Claudel à son frère Paul


Si on se souvient de la tumultueuse sculptrice Camille Claudel (1864-1943), c’est pour son œuvre d’une grande puissance expressive, pour sa relation passionnelle avec Auguste Rodin, et pour les conditions désastreuses de son internement psychiatrique. Diagnostiquée d’une démence paranoïde en 1913, elle finira ses jours en asile, contrainte à l’enfermement, isolée de son art et des siens. Dans cette lettre écrite deux ans plus tard et adressée à son frère, elle déplore son isolement et l’ignorance et l’indifférence de sa famille alors qu’elle demande un transfert à Sainte-Anne.

Mon cher Paul,

J’ai écrit plusieurs fois à Maman, à Paris, à Villeneuve sans pouvoir obtenir un mot de réponse.

Toi-même, tu es venu me voir à la fin de mai et je t’avais fait promettre de t’occuper de moi et de ne pas me laisser dans un pareil abandon.

Comment se fait-il que depuis ce moment tu ne m’aies pas écrit une seule fois et que tu ne sois pas revenu me voir. Crois-tu que ce soit amusant pour moi de passer ainsi des mois, des années sans aucune nouvelle, sans aucun espoir !

D’où vient une pareille férocité ? Comment s’y prend-on pour vous détourner de cette façon ? Je voudrais bien le savoir.

J’ai écrit à Maman pour lui demander de me faire transférer à Sainte-Anne à Paris, ce qui m’offrirait l’avantage d’être plus près de vous et de pouvoir m’expliquer clairement avec vous sur les différents points qui restent à éclaircir. De plus ce serait une occasion pour vous de faire encore des économies puisqu’on peut entrer à Sainte-Anne pour 90F par mois. Je ne dis pas qu’à ce prix, ce serait le paradis, loin de là mais depuis que j’ai quitté mon atelier du Quai Bourbon je suis habituée à tout. On m’enverrait en Sibérie que rien ne m’étonnerait.

A vrai dire, j’aimerais mieux rentrer dans la vie civile et oublier toutes ces aventures.

Tu peux dire à Maman qui, si c’est qu’elle a peur que je ne réclame les biens de Villeneuve, je n’ai pas cette intention-là ; je préfèrerais faire une donation à Jacques de tout ce qui me revient et passer le reste de ma vie tranquille.

J’aimerais mieux même n’avoir qu’une place de bonne que continuer à vivre ainsi. As-tu fait attention qu’elles ne tombent pas entre les mains du gredin qui n’a fait ce joli coup que pour pouvoir s’en emparer ? Il en a eu une peur de me voir revenir avant qu’il ait eu le temps de mettre la main dessus…

C’est pour cela qu’il retarde toujours le plus possible ma sortie ; il cherche à gagner du temps et dans l’intervalle il arrivera toutes sortes de choses sur lesquelles vous ne comptez pas. Vous serez punis de votre apathie ; je prends bien garde à toi.

J’attends une lettre de toi prochainement.

Mes amitiés à ta femme et à tes enfants.

C.C.

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