sexta-feira, 12 de agosto de 2016

Lettre de Jean Genet à Jean Cocteau



Mon cher Jean,

C’est seulement aujourd’hui que je peux assez correctement t’écrire. J’ai lu les journaux. Je ne me moque plus de tes précautions pour éviter les insultes, car je sais ce que c’est que voir son nom livré d’une façon honteuse à la raillerie imbécile. J’ai bien peur encore de n’avoir pas assez de délicatesse pour te dire ce qui va suivre. Je voudrais te le dire à l’oreille. Tu as osé, Jean, pour me tirer d’un pas plus que périlleux, d’un pas mortel car j’était décidé à me bousiller en cas de relégation — tu as osé prononcé une affirmation dont la gravité ne m’échappe pas. Je ne sais pas si je suis le plus grand écrivain de l’époque, je ne sais pas si tu le penses (j’espère que non) mais tu l’as dit pour me sauver, et voilà ce qui me bouleverse et me met en face de toi dans la situation d’un type orgueilleux qui se laisse écraser par un geste d’amour plus beau que ses gestes d’orgueil. C’est une situation adorable, Jean. Je sais l’importance que prend sous ta plume une affirmation publique aussi catégorique. Je sais comme c’est une tache sur Goethe qu’il ait considéré du Bartas comme le plus grand poète français. On dit : « Quelle admiration […] »

Dès ma sortie je partirai à la campagne. Tu me verras très rarement, et seulement dans l’intimité. Je suis une intelligence fruste, le Dr Claude l’a bien dit et il est bien trop tard pour que je me civilise. Profondément je reste un truand. J’aurais dû le comprendre et ne t’aimer que de loin. Mais comme la faute d’indélicatesse est trop dure pour moi je me dis que je ne l’ai commise qu’à cause de ton insistance à me dire de t’aller voir souvent. Comme si nous avions besoin de cela ! Il y a dix ans que je t’aime et tu n’en savais rien.

Je vais te quitter mon petit Jean. Il est possible que je parte aux Tourelles et je ne pourrai plus écrire qu’à ma famille de chair.

Sur cette lettre laisse-moi confier encore à Jeannot ce gosse perdu dont je lui ai parlé hier. Il est d’une grande beauté. Nous ne pouvons pas…

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