domingo, 27 de agosto de 2017

Dernière lettre de Nietzsche à Jacob Burckhardt


Friedrich Wilhelm Nietzsche (15 octobre 1844 – 25 août 1900), l’un des philosophes les plus décapants et influents du XIXe siècle, critique acharné du christianisme, eut une fin de vie terrifiante. Le 3 janvier 1889, il est pris d’une crise de démence à Turin et il ne recouvrera dès lors jamais son esprit : partiellement paralysé, il ne reconnaît plus ni amis ni famille. Transporté dans une clinique à Bâle, il écrit sa dernière lettre attestant de la folie qui l’assiège : se prenant tour à tout pour Dieu puis pour le père d’une prostituée assassinée par un meurtrier. L’esprit de Nietzsche, l’un des plus grands, est définitivement à la dérive.

Cher Monsieur le Professeur,

Finalement, j’aimerais bien mieux être professeur à Bâle que Dieu ; mais je n’ai pas osé pousser si loin mon égoïsme privé que, pour lui, je renonce à la création du monde. Voyez-vous, on doit faire des sacrifices quels que soient la manière et le lieu où l’on vive. – Pourtant, je me suis réservé une petite chambre d’étudiant, qui fait face au Palazzo Carignano ( – dans laquel je suis né en tant que Vittorio Emanuele), et qui, de surcroît, me permet d’entendre la superbe musique en dessous de moi, dans la Galleria Subalpina, de ma table de travail. Je paye 25 frs., service compris, je m’occupe de moi-même de mon thé et de tous les achats, souffre de mes bottes déchirées, et remercie à chaque instant le ciel pour ce vieux monde, pour lequel les hommes n’ont pas été assez simples et silencieux. – Comme je suis condamné à distraire la prochaine éternité par des mauvaises plaisanteries, et bien j’ai ici une paperasse, qui ne laisse vraiment rien à désirer, très jolie et pas du tout rébarbative. La poste est à cinq pas d’ici, c’est là que je dépose moi-même les lettres, pour donner dans le feuilletoniste du grande monde. Je suis naturellement en relations étroites avec Le Figaro, et afin que vous puissiez entrevoir à quel point je peux être innocent, écoutez donc mes deux premières mauvaises plaisanteries :

Ne jugez pas trop sévèrement le cas Prado. Je suis Prado, je suis aussi le père de Prado, j’ose dire que je suis aussi Lesseps… Je voudrais donner à mes Parisiens que j’affectionne un nouveau concept – celui d’un criminel convenable. Je suis aussi Chambige – un criminel convenable lui aussi.

Seconde plaisanterie. Je salue les Immortels Monsieur Daudet fait partie des quarante.

Ce qui est désagréable et dérange ma modestie, c’est, qu’au fond, je suis chaque nom de l’histoire ; il en va également ainsi avec les enfants que j’ai mis au monde, j’examine avec une certaine méfiance, si tous ceux qui parviennent dans le « royaume de Dieu », ne proviennent pas non plus de Dieu. Cet automne, aussi légèrement vêtu que possible, j’ai assisté deux fois à mon enterrement, tout d’abord en tant que conte Robilant ( – non, c’était mon fils, dans la mesure où je suis Carlo Alberto, ma nature foncière), mais j’étais moi-même Antonelli. Cher Monsieur le Professeur, vous devrez voir cet ouvrage ; vu que je suis complètement inexpérimenté dans les choses que je crée, c’est à vous qu’échoit toute critique, j’en suis reconnaissant, sans pouvoir promettre d’en tirer profit. Nous les artistes sommes inenseignables. – Aujourd’hui j’ai vu mon opérette – géniale-mauresque -, à cette occasion également constaté avec plaisir, qu’aujourd’hui Moscou tout comme Rome sont des choses grandioses.

Voyez-vous, pour le paysage également, on ne conteste pas mon talent.

– Réflechissez, faisons-nous un beau, bellissime, brin de causette, Turin n’est pas loin, aucune obligation professionnelle très sérieuse en vue, il faudrait se procurer un verre de Veltliner. Négligé de la tenue exigée.

Avec ma plus sincère affection, votre

Nietzsche

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